Le samedi 2 novembre 2024
L’autre samedi, au micro de Tout peut arriver, Marie-Louise Arsenault a accueilli l’humoriste José Gaudet en le traitant de « superstar de l’humour ».
Lui-même a paru surpris par l’hyperbole. « Superstar, moi ? »
Bien sûr que non.
Réglons la question une fois pour toutes : la seule personnalité québécoise dont le titre de « superstar » convient, c’est Céline Dion.
Les autres ne sont pour la plupart que des figures locales ayant une notoriété relative sur un territoire limité géographiquement, lequel s’étend rarement au-delà de Cornwall (Ontario).
Genre, José Gaudet.
Mais je m’égare. Marie-Louise Arsenault, l’autre samedi, a lancé l’entrevue avec cette légende vivante des arts comiques avec une petite question de rien du tout : « Comment ça va, le Québec, José Gaudet ? »
Une question portée par une sorte d’espoir candide, comme si avoir la capacité de remplir le Vieux Clocher de Magog conférait à l’humoriste une perspective sur notre société propre à redonner confiance en l’avenir.
J’ai tendu l’oreille. Et de quelle sublime réponse l’homme de l’heure nous a-t-il fait cadeau ? Je le cite :
« Comment ça va, le Québec ? Ben, si on élimine les cônes orange, ça va très bien ! Non mais, ça pas de bon sens : j’avais une voiture… j’ai acheté un camion ! »
Pou-rou-poum, tss.
Merci à Marie Isabelle Boucher, qui a souscrit un abonnement payant cette semaine. Elle habite aux États-Unis depuis plus de dix ans et cherche à garder contact avec le Québec : « J’aime beaucoup te lire, et je préfère soutenir des auteurs indépendants que des grands médias. »
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Lâchez les cônes
Loin de moi l’intention de dire aux gens comment faire leur travail, mais permettez-moi de contribuer à l’avancement des connaissances en humour en soumettant aux praticiens de la discipline cette humble suggestion : je pense qu’on a pas mal fait le tour des jokes de cônes orange.
Il est peut-être temps de les reléguer au fond du sac à blagues, pas très loin des jokes de belles-mères, des jokes de newfies et des jokes de blondes gossantes.
Collectivement, j’ai l’impression qu’on est prêt à passer à autre chose.
Parce que, bon… s’il y a des cônes orange sur la voie publique, c’est qu’un ordre de gouvernement est tout de même en train de faire le travail qu’on est en droit de s’attendre de lui.
On me dira : « Oui, mais… est-ce qu’on est forcé de tout réparer en même temps, par exemple, là, hein ? »
Selon le vérificateur général, la moitié de nos 31 000 kilomètres de routes sont en piteux état, voire ont atteint leur fin de vie.
Alors, a-t-on vraiment le luxe d’étaler les travaux ? Et pourquoi ? Juste pour éviter d’avoir à forcer de pauvres automobilistes à faire un détour qui les empêcherait d’arriver à temps à leur rendez-vous super important au rayon des friteuses à air du Costco ?
En crisse pour rien
J’ai commencé à regarder la série documentaire En crisse de Bianca Gervais.
La série nous permet d’apprécier l’impressionnante gamme de faces fâchées qu’est en mesure d’interpréter la comédienne, mais ce n’est pas tout : on y apprend aussi toutes sortes de choses, notamment que cette épidémie de colère collective semble animée par des enjeux on ne peut plus insignifiants.
Bianca Gervais discute entre autres avec le ministre de l’Éducation Bernard Drainville, apparemment l’un des grands réceptacles de cette colère populaire.
Ce dernier analyse assez justement la situation : les gens sont en crisse pour des broutilles, comme les cônes orange, parce que « les besoins individuels prennent toute la place » de nos jours.
L’enjeu, en somme, c’est l’individualisme systémique.
On chiale à cause des cônes orange, car leur présence bouscule le cours de notre petite vie futile et qu’on est incapable de considérer les retombées collectives de ce désagrément temporaire.
C’est sans doute un peu normal : le bouillon culturel dans lequel nous marinons depuis des décennies s’évertue à nous faire croire que nos besoins individuels, nos petits rêves et nos grandes ambitions personnelles sont tout ce qui compte.
Il se dépense chaque année des milliards de dollars en publicité et en stratégie de marque pour nous vendre telle crème antiâge parce qu’on « le vaut bien ».
L’ère de la consommation érige en priorités absolues les moindres petites misères de notre quotidien banal (qu’un produit magique peut régler).
Ainsi, aucun jeune couple ne devrait perdre son précieux temps avec un savon à lave-vaisselle qui fait le travail à moitié.
La mauvaise haleine ne devrait jamais nous empêcher d’être, chaque jour, la meilleure version de nous-même.
Mais surtout, personne ne devrait s’empêcher de rire à cause des fuites urinaires.
Cette culture du « client est roi » a fini par faire de nous de véritables petits pharaons, s’imaginant le reste du monde assujetti à nos moindres volontés. Sinon… « aux crocodiles ! »
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J’en conviens, les fondements de ce dérèglement civique sont sans doute plus complexes qu’une simple conséquence de la pub. Bon, contentons-nous d’effleurer le sujet pour aujourd’hui, nous ne sommes que dans une simple chronique du samedi, après tout.
Cela dit, c’est peut-être ce genre de réflexion que j’aurais souhaité qu’entame la « superstar de l’humour » José Gaudet à la question de Marie-Louise Arsenault : « Comment ça va, le Québec ? »
Au lieu d’une vieille joke de cônes orange, j’aurais aimé l’entendre dire qu’on est peut-être allé au bout de cette culture de l’individualisme. Qu’on tourne en rond à se regarder autant le nombril. Qu’il serait temps d’arrêter de se mettre en crisse pour des niaiseries. Qu’on serait peut-être mûr pour un vrai projet de société, au fond.
Bref, ç’aurait été l’occasion de rire de quelque chose d’important, pour une fois.
Non ?
*
Allez, bon samedi !
Parlant de ça
« Collectivement, on est insignifiant et vide ! » Vous avez manqué cette déclaration sans appel à propos du peuple québécois ? C’était à l’émission Une époque formidable (Télé-Québec). L’auteur du roman La mère patrie, Maxime Blanchard, était venu expliquer à Stéphan Bureau sa honte d’être Québécois et notre absence d’un projet de société intelligent. Le malaise du public en studio était savoureux.
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Parlant de choses savoureuses, il fallait entendre Luc Ferrandez livrer une interprétation à peine caricaturale des personnes qui chialent contre les cônes orange. La performance n’a bien sûr pas échappé à Olivier Niquet, superstar de l’humour :
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Sur les limites de la culture de l’individualisme, j’ai attrapé cette réflexion dans une récente infolettre de Cory Doctorow : « Nous avons beau souhaiter qu’il en soit autrement, la triste réalité est qu'il n’y a pas vraiment de solutions individuelles aux mouvements systémiques. Vous voulez changer le monde ? Rejoignez un mouvement. Faites quelque chose de systémique. »
Encore là ? Parlons des vraies affaires.
Je consacre à chacune de mes chroniques une bonne journée de travail.
Si j’adore l’exercice, j’ambitionne néanmoins de pouvoir tirer un revenu satisfaisant de cette activité qui consiste à inaugurer glorieusement vos samedis matin.
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Qui suis-je ?
Je m’appelle Steve Proulx. Pour gagner ma vie, j’écris. Je fais ça depuis près de 30 ans. Vous m’avez sans doute déjà lu quelque part (ne serait-ce qu’en ce moment même).
Suivez mes autres aventures :
Sur l’individualisme systémique; cette semaine je lisais que Starbuck va maintenant limiter les commandes de cafés personnalisés. C’est triste pour ceux qui s’identifiaient avec leur café, obligés de retourner aux simples choix qu’il y a sur la pancarte comme le reste de la plèbe.
https://www.msn.com/en-us/money/companies/starbucks-needs-you-to-rein-in-highly-customized-drink-orders-we-have-some-cleanup-to-do-ceo-brian-niccol-says/ar-AA1thM6d
Dimanche dernier, à Tout le monde en parle, Valérie Plante a été accueillie avec des cônes orange sur le plateau. Ben oui toé : ils avaient créé un beau décor pour une mairesse qui, pour une fois, a été cohérente avec ses convictions et a dû se débrouiller avec des années de négligence de la part des autres administrations avant elle. La joke a duré 5 secondes. Mais tout le long de l'entrevue, il y a avait cette énormité visuelle derrière elle. Depuis que l'émission existe, aucun autre invité n'a eu un accueil décoré à son arrivée sur le plateau. C'est quand même triste que, pour la première fois, ce soit ça.