Le samedi 17 août 2024
Lundi dernier, en attendant de payer mon pot de pesto à l’épicerie, mon regard s’accroche sur la une du Journal de Montréal, offerte avec l’habituel raffinement auquel le quotidien nous a habitués :
D’abord, la nouvelle : Mario Dumont sera à la barre cet automne d’une émission radiophonique matinale concurrente de celle qu’animera à une autre antenne Patrick Lagacé.
Maintenant, les mots choisis pour le titre : on n’annonce rien de moins qu’une « vraie » guerre entre les protagonistes susmentionnés.
Appréciez-vous comme moi l’habile inférence suggérant l’absence d’une « vraie » guerre des ondes lorsque Lagacé n’avait qu’à se colletailler à Masbourian, de la Première chaîne ?
Ce dernier était tout de même au 2e rang avec 22 % des parts de marché à Montréal l’automne dernier. N’aurait-il pas mérité une petite place sur le champ de bataille ?
Eh bien, non.
Car la « vraie guerre » dont il est question dans ce titre racoleur ne concerne pas notre inoffensif Masbou.
C’est la guerre pour prendre les dollars publicitaires des concessionnaires auto de la grande région métropolitaine.
L’enjeu, c’est ça.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, bienvenue à Benoît T., Carl F., Romain R., Manon, Nadia S., Alexandre F., Robert, Martin, Stéphanie F., Martin J., Hélène P., Sandra D., Xavier C., Alexandra… Diantre, il me semble que cette liste est plus longue chaque semaine !
Et un gros « merci » à Fabienne Couturier, qui a souscrit un abonnement payant accompagné d’une petite fleur : « Je te lis toujours avec plaisir, merci d’exister ! »
Vous aussi me lisez avec plaisir chaque samedi ? Aidez-moi à continuer d’exister :
Je préfère la paix
Franchement, les chances que j’écoute l’un ou l’autre des belligérants de la « vraie guerre » de l’automne sont à peu près nulles. Et je ne porte ici aucun jugement sur les talents d’animateurs d’un Lagacé ou d’un Dumont. Deux bonnes pâtes, j’imagine.
L’affaire, c’est la pub.
M’imposer délibérément les promotions criardes de magasins de meubles toutes les quinze minutes, juste pour jouir du privilège d’entendre tel animateur ne pas avoir la langue dans sa poche ? Je passe mon tour.
Sauf que pour écouter une radio sans bulletin de circulation présenté par Albi le géant, le choix n’est pas énorme.
Du coup, je syntonise rarement autre chose que la Première chaîne de Radio-Canada pour accompagner radiophoniquement la préparation de mes pâtes au pesto.
Peu importe ce qui passe à ma radio publique – même si c’est Franco Nuovo qui fait encore semblant d’être plus con qu’il l’est – c’est encore mieux que l’estifi de ver d’oreille de Club Piscine.
Pouvoir écouter la radio en paix, sans dérangement publicitaire, c’est tout de même un réel enchantement.
Imaginons qu’on fasse la même chose pour la télé.
Mon rêve « olympique »
Avez-vous aussi trouvé que la couverture radio-canadienne des Jeux olympiques de Paris frôlait l’abus en matière de réclame ?
Un segment dans lequel deux journalistes faisaient des affaires parisiennes était commandité par un certain médicament qui fait maigrir. Mario Dumont – encore lui – a même parlé des « jeux Ozempik ».
Pendant toute la durée des jeux, on nous a servi ad nauseam les cinq-six mêmes publicités poches, jusqu’à les incruster en plein cœur de l’écran pendant la cérémonie d’ouverture !
Entre deux exploits des nageuses canadiennes, une pub pour nous vendre une vie à crédit, un char neuf ou de l’essence pour mettre dedans. La Sainte Trinité nord-américaine : « Au nom de la Visa, du char et de la station-service. Amen. »
Jusqu’au linge que portaient les chroniqueurs, « une gracieuseté de je-ne-sais-plus quelle boutique ». Leur linge, bâtard !
Je débloque complètement ou il me semble qu’un diffuseur public qui reçoit chaque année 1,4 milliard de dollars du gouvernement fédéral devrait avoir les moyens d’habiller son monde sans devoir se téter une foutue commandite ?
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Notre industrie des médias se cherche des moyens de survivre face au rouleau compresseur des géants numériques. Essayer de faire comme Netflix, ou comme Facebook, ou comme YouTube, ça ne fonctionnera pas.
Et si on essayait des idées vraiment audacieuses. Disruptives, comme on dit.
En voilà une : imaginez si notre télé d’État décidait d’aménager pour le bien commun un espace sans pubs de Swiffer WetJet.
C’est trop fou, ou quoi ?
Les revenus publicitaires comptent pour le cinquième du budget annuel de Radio-Canada. C’est appréciable, mais ce n’est pas tant que ça non plus.
Si Radio-Canada osait se passer de la pub, on devrait rejouer dans les fichiers Excel et revoir quelques priorités. Bien sûr.
Cela dit, s’il n’y avait plus de pubs à vendre, on n’aurait plus besoin de payer des vendeurs de pub et leurs frais de représentation. Déjà, on économiserait en remerciant tout ce beau monde bien peigné.
Ce ne sera pas suffisant, et il faudrait forcément réduire la voilure de la société d’État.
CBC/Radio-Canada pourrait se concentrer sur quelques activités prioritaires : un service de l’information digne de ce nom, une plate-forme pour découvrir la culture d'ici et vers laquelle se tourner lors des grands rendez-vous que sont les élections, les Olympiques, les grandes catastrophes, etc.
Laissons tomber TOU.tv : Radio-Canada n’a pas besoin de gérer une plate-forme d’écoute à la demande qu’on paie tant par mois. Au Québec, trois services de diffusion en continu (illico+, Crave, TOU.tv) se courent après. Fusionnez, pour l’amour !
Laissons tomber Ohdio : Radio-Canada n’a pas besoin d’essayer de nous patenter une industrie canadienne du balado en circuit fermé; personne n’a demandé ça.
Laissons tomber ARTV et Explora : deux chaînes spécialisées qui se cherchent à la fois un public et une raison d’être. On trouvera certainement un autre moyen de revoir les vieux épisodes du Temps d’une paix.
Imaginons le bonheur que ce serait de se payer ça : un diffuseur public qui ne participerait à aucune « vraie » guerre médiatique.
Si ça se faisait, en plus, le gouvernement fédéral ne serait plus en train de financer un concurrent déloyal aux chaînes privées (qui vivotent littéralement ces dernières années). Un morceau de la tarte publicitaire pesant presque 300 millions de dollars serait à leur portée. C’est trois fois l’entente du fédéral avec Google.
Je suis sûr que les interventions de Pierre Karl Péladeau devant le CRTC seraient du coup beaucoup moins larmoyantes.
Et nous, on pourrait regarder nos épisodes de Stat sans que l’intrigue soit interrompue par la voix de Dan Bigras qui veut nous vendre un Dodge Ram.
On a ici l’occasion de réenchanter ce projet qu’est Radio-Canada en en faisant un diffuseur public vraiment au service du public.
Certes, c’est un grand rêve.
Mais après ces Olympiques, j’ai appris à rêver grand !
*
Allez, bon samedi!
Deux petites plogues
PROJET CITOYEN - Une invitation aux gens qui œuvrent dans le milieu communautaire : le 28 août prochain, j’animerai une rencontre pour faire connaître La nouvelle place, le futur média social québécois, géré sous la forme d’une coopérative de solidarité.
Depuis la dernière année, je suis membre du groupe de citoyen(ne)s à l’origine de cette initiative pour tenter de réduire notre dépendance collective envers les géants numériques.
CLIQUEZ ICI POUR VOUS INSCRIRE À LA RENCONTRE et n’hésitez pas à faire circuler l’invitation !
TRAVAIL DU BOIS - Mon talent naissant pour la menuiserie a été mis à profit dans une résidence artistique au jardin communautaire de La Pocatière. Dans son projet intitulé « Manger comme une plante », l’artiste Laetitia de Coninck a exploré la thématique de la collaboration en vivant pendant trois semaines grâce au troc.
J’ai eu le plaisir de gosser la pancarte officielle du projet avec du bois trouvé dans les vidanges !
Encore là ? Alors, j’ai besoin de vous !
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Qui suis-je ?
Je m’appelle Steve Proulx. Pour gagner ma vie, j’écris. Je fais ça depuis près de 30 ans. Vous m’avez sans doute déjà lu quelque part (ne serait-ce qu’en ce moment même).
Suivez mes autres aventures :
Il y a, je n’en doute pas, une douce poésie dans votre rêve d’une télé publique exempte de toute publicité. Malheureusement, les coupes que vous envisagez pour couvrir des 300 millions de revenus perdus ne suffisent pas. D’autant plus que les chaînes de télé payantes comme Explora et artTV sont financées en bonne partie par leurs abonnés et leur propres revenus publicitaires. Je ne sais même pas si, au final, elles représentent une dépense pour notre radio-télé publique. Quant à Ohdio!, c’est bien mal connaître l’évolution de l’écoute de la radio que de la définir comme une chaîne de diffusion de balados. Une partie importante du public (les plus jeunes, surtout) n’écoute plus les médias en mode diffusion directe, mais va chercher ses émissions en rattrapage, au moment où il a du temps libre. Radio-Canada aurait pu appeler ou « marketter » autrement ce service Ohdio! mais il s’agit d’un accès incontournable aux contenus.
En fait, l’économie de 300 000 $ imposerait des coupes majeures dans le coeur de la production télévisuelle : moins de téléromans et téléséries très coûteuses, impossibilité d’obtenir les droits de diffusion des Olympiques et autres sacrifices du genre. Il s’ensuivrait nécessairement une baisse des auditoires. Et quand les auditoires fondent, les politiciens cessent de se sentir obligés de défendre les budgets dévolus au diffuseur public. Regardez ce qui se passe à la CBC! C’est le début d’un cercle vicieux du définancement, qui forcerait la SRC à aller chercher ailleurs du soutien (du côté des dons et commandites, comme PBS ).
En outre, l’exclusion de la télé publique de certains créneaux de création trop onéreux (les téléséries, pas exemple) diminuerait la concurrence dans ces secteurs et risquerait d’entraîner une baisse de qualité, même du côté des chaines privées concurrentes qui n’auraient plus à se botter le cul pour « battre » Radio-Canada.
Bref, il est de ces solutions qui paraissent intéressantes mais qui risquent d’entraîner un désastre. Et si la voix de Dan Bigras sur une pub de char t’incommode, utilise ton enregistreur vidéo-numérique et écoute tout en différé, en sautant les pubs. C’est moins risqué, comme solution.
Je n’ai pas l’impression que ces médias soient vraiment indépendants. Ils sont influencés par le courant politique majoritaire et incarnent « la voix de son maître » je parle de la France….🇫🇷