Le samedi 26 octobre 2024
Toujours est-il que l’entrepreneur-vedette Nicolas Duvernois a besoin d’une longue pause. Il est brûlé, a-t-il lui-même annoncé dans Les Affaires :
« Tel un sablier, plus le temps passait, plus je changeais sans m’en apercevoir. Insomnie, manque de concentration, procrastination, impatience, cynisme et divers maux apparaissaient ici et là sans que je prenne le temps d’y réfléchir encore moins de m’attarder à leur origine. Je n’avais pas le temps pour ça. »
Le superhéros local de la vodka s’est donc résigné à ranger sa cape.
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Toute une histoire
Je ne le connais pas personnellement, Nicolas. Je l’ai interviewé, il y a longtemps.
Il m’avait conté son incroyable aventure, la même qu’il déballe dans ses conférences, dans son livre, partout.
Je la résume vite fait pour qu’on soit tous et toutes sur la même page :
Il était une fois un jeune homme qui travaillait dans un bar et qui remarqua : « Diantre ! Il s’en vend de la vodka ici dedans ! » Il eut alors un éclair de génie : pour faire une bonne vodka, ça prend de la bonne eau. Et de la bonne eau, « au Québec on en a en tab… ! », s’est-il dit en substance.
Il n’en fallut pas moins pour insuffler à notre jeune homme l’élan de créer une vodka québécoise qu’il baptisa PUR Vodka.
Hélas, si son breuvage plaisait dans son cercle restreint, il n’arrivait point à l’imposer sur les tablettes de la SAQ. Désœuvré et réduit à occuper un emploi de concierge pour attacher les lacets de son budget, notre héros broyait du noir.
Mais un jour, pouf ! Alors qu’il passait la vadrouille, on lui téléphona pour lui annoncer que sa vodka avait été nommée « Meilleure vodka au monde » par The Global Vodka Masters.
Aussitôt, tout le monde voulut tremper ses lèvres dans ce fameux nectar. Le grand public découvrit PUR Vodka en même temps qu’il découvrit l’existence des concours de vodka.
Et le jeune Nicolas fut instantanément propulsé au zénith des entrepreneurs-vedettes. Les médias se l’arrachèrent. La moindre chambre de commerce du Québec souhaitait entendre sa légende. On lui donna même un fauteuil aux Dragons.
Le gars était au top de sa game, comme dirait le philosophe Martin St-Louis.
Un succès qu’il doit à son idée de créer une vodka à l’eau d’ici.
Un succès qu’il doit aussi (beaucoup) à un échantillon aléatoire de juges qui ont procédé à une dégustation à l’aveugle à des milliers de kilomètres d’ici.
Cette année-là, ils ont apprécié la rondeur de cette vodka en particulier. Ils auraient pu en choisir une autre.
Ils en ont souvent choisi d’autres.
Tenez, en 2020, une autre année où la vodka de notre histoire a remporté la palme d’or, c’était dans UNE catégorie parmi DIX-NEUF. Et PUR Vodka a partagé l’or dans cette catégorie aux côtés de SIX autres marques de vodka.
En deux mots, ça se bouscule pas mal au party des « meilleures vodkas au monde ». Faut en revenir avec les prix.
Le génie de Nicolas Duvernois aura été d’avoir réussi à en faire un conte de fées.
Le secret du succès
Ce qui m’amène au point central de cette chronique : quels sont les ingrédients du succès en affaires ?
Dans l’imaginaire collectif, on a tendance à surestimer le rôle que peut jouer les talents ou la personnalité de l’entrepreneur. Pourtant, littéralement n’importe qui peut réussir en affaires.
Vous pouvez réussir en n’ayant aucun diplôme (Steve Jobs), en étant introverti(e) (Bill Gates), dyslexique (Richard Branson) ou sur le spectre de l’autisme (Mark Zuckerberg).
Vous pouvez réussir en affaires en marchant sur des échasses (Guy Laliberté), en étant un macho égocentrique mythomane souffrant d’un sérieux TDAH (Donald Trump) ou en ayant une inexplicable propension à sauter sur place comme un mongol quand vous montez sur scène (Elon Musk).
Aucun trait de caractère spécifique ne semble déterminer le succès d’un(e) entrepreneur(e). De même qu’aucune compétence particulière.
Des gens ont réussi en affaires sans faire preuve de la moindre créativité, originalité, stratégie, voire en commercialisant des produits dénués de toute utilité.
En 1975, un gars a quand même fait fortune en vendant une roche.
Bien sûr, des compétences en gestion ne peuvent pas nuire. Autrement, il est fort possible qu’un bailleur de fonds ait tôt ou tard envie de vous expliquer l’idée générale derrière le concept de « rentabilité ». Mais encore là, ce n’est pas un prérequis essentiel au succès : il est possible de créer de vastes entreprises qui ne seront rentables qu’en théorie, et dans un futur lointain (Northvolt, OpenAI).
On s’imagine que les entrepreneurs sont des gens dotés de superpouvoirs, capables de créer de la richesse par la seule force de leur leadership.
C’est n’importe quoi.
Je vais vous le dire, les entrepreneurs à succès dont on court les conférences sont généralement des personnes qui ont eu beaucoup de chance. Ils étaient au bon endroit, au bon moment. Ils ont eu le bon papa, sont nés dans le bon pays. Ils ont gagné au 6/49 du monde des affaires.
« Il n’est pas possible d’être “génial” dans les affaires sans avoir de la chance », conclut cet article du Harvard Business Review.
Aussi, cette façon de glorifier les coups de chance des entrepreneurs-vedettes nous empêche d’apprécier ce que c’est vraiment, l’entrepreneuriat.
C’est laisser croire qu’avoir du succès en affaires, c’est nécessairement « gagner des millions ».
Pourtant, le succès peut s’incarner d’un million de façons. Être libre, être heureux(-se), être bien dans sa tête, se sentir utile et faire quelque chose qu’on aime : voilà d’autres définitions du succès tout aussi valides. On devrait les célébrer.
Bref, faut en revenir des contes de fées.
*
Allez, bon samedi !
Parlant de ça
We Created a Monster: Trump Was a TV Fantasy Invented for 'The Apprentice' - L’ancien chef du marketing à NBC et NBC Universal demande pardon au peuple américain d’avoir fabriqué le mythe de Trump pour les besoins d’une bête téléréalité : « Pour vendre l'émission [The Apprentice], nous avons créé l’idée que Trump était un homme d’affaires très prospère qui vivait comme un roi. […] il s’agissait d'une exagération substantielle. »
Une autre vision de l’entrepreneuriat - Sur LinkedIn, le chroniqueur et entrepreneur David Desjardins a eu cette réflexion sur l’image de l’entrepreneur(e) dans l’espace public après l’annonce de la pause de Nicolas Duvernois : « [L’entrepreneuriat,] c’est pas un star système. Ou enfin, ce n’est pas souvent celui que l’on fabule. Dans le monde de l’entrepreneuriat, tous ces anonymes qui fondent et administrent leur petite affaire forment les constellations qui éclairent le ciel de notre économie. Suffit d’éteindre les projecteurs du showbizz des entreprises pour les apercevoir, et constater que nous n’avons aucune raison de nous priver de leur beauté. Ce devrait être eux, notre modèle. Un rêve atteignable, réel, grandeur nature. »
Encore là ? Parlons des vraies affaires.
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Qui suis-je ?
Je m’appelle Steve Proulx. Pour gagner ma vie, j’écris. Je fais ça depuis près de 30 ans. Vous m’avez sans doute déjà lu quelque part (ne serait-ce qu’en ce moment même).
Suivez mes autres aventures :
Je vous trouve très courageux ce matin, M. Proulx, de vous attaquer à un mythe aussi central dans notre vision du monde de Nord-Américains éduqués par la tévé. De l'admiration ordinaire à la mythification (auto)biographique, parfois jusqu'à la déification (regardez chez le voisin d'en dessous), il semble que ça réponde à un besoin profond chez nous les Sapiens.
C'est pas d'hier, si j'ai bien compris les envolées lyriques de grand-papa Freud dans Totem et tabou. Le culte des ancêtres qui ont vécu 800 ans et mesuraient 3 mètres, la dévotions aux Saints et aux leaders religieux chastes et désintéressés, les chefs de clans et politiciens qui n'ont que l'intérêt du peuple en tête, les artistes au génie mur à mur, les entrepreneurs bienfaiteurs de l'humanité, sans oublier les influenceurs qui sont connus parce que populaires ou inversement. J'en ai tu oublié?
Oui, M. Proulx, je vous trouve bien courageux parce que je me relis et que je suis déjà en train de me traiter moi-même de jaloux, de loser, d'intello déconnecté, de snob fini qui prend le monde de haut.
Mais je me rassure tout de suite, votre lectorat est bien élevé.