Le samedi 21 septembre 2024
Je trouve fascinant de penser qu’il y a un siècle à peine, il était tout bonnement inconcevable de sortir sans chapeau.
Du chapeau haut de forme au canotier (chapeau officiel des pique-niques champêtres de la Belle époque), on s’est couvert le chef au moindre prétexte pendant vraiment longtemps.
Permettez-moi d’ailleurs de tirer mon chapeau à qui a souscrit un abonnement payant cette semaine.
Le gars réalise des émissions de téléréalité, dont Le Restaurant, que j’avais adorée et qui m’a confortée dans ma volonté de ne JAMAIS me lancer dans la restauration !
Vous avez pris goût à notre rendez-vous du samedi ? Je vous invite à partager votre bonheur avec quelqu’un de votre entourage qui pourrait aimer cette chronique.
Je capoterais de doubler mon lectorat juste comme ça.
Quand le monde tournait autour du chapeau
Pendant vraiment longtemps, donc, le monde a baigné dans la culture du chapeau.
On connaissait les codes du chapeau en société. L’accessoire était un marqueur social : il y avait des chapeaux de riches, des chapeaux de pauvres. Certaines personnes pouvaient « porter plusieurs chapeaux ».
Il existait des infrastructures pour gérer les chapeaux : des lieux spécifiques pour les accrocher, pour les ranger ; des outils et des produits pour les nettoyer, les réparer, les entretenir. L’industrie de la chapellerie était florissante.
Le temps des chapeaux a laissé derrière lui tout un florilège d’expressions. Tenez, qui se souvient que le fameux « tour du chapeau » au hockey — soit le fait pour un joueur de marquer trois buts lors d’une même partie — nous vient d’une tactique publicitaire du chapelier montréalais Henri Henri, qui offrait un chapeau à tout joueur du Tricolore signant ledit exploit ?
On l’a oublié, car on a collectivement tourné le dos à l’institution du chapeau.
On en porte radicalement moins de nos jours, essentiellement par coquetterie ou pour couvrir une calvitie façon Marco Calliari.
D’une culture à l’autre
Que s’est il passé ?
Voilà. En décidant en 1914 de doubler le salaire de ses ouvriers et de réduire la durée de leur journée de travail, ce bon vieux Henry Ford a planté deux gros clous dans le cercueil de la culture du chapeau.
D’abord, il a contribué à créer une « classe moyenne » en remblayant quelque peu le fossé entre les pauvres et les riches. Le chapeau en tant qu’indice visuel de sa position dans l’échelle sociale est tout à coup devenu moins pertinent.
Surtout, l’adoption de l’automobile par les masses laborieuses a fini par rendre le chapeau tout sauf pratique. Concrètement, et je ne suis pas le premier à faire cette observation, si le chapeau pouvait aisément se porter en train, en tramway ou à cheval, c’est une autre paire de manches en auto.
Essayez de porter un tricorne dans une Toyota.
Ainsi, petit à petit, la culture du char a eu raison de la culture du chapeau.
Aujourd’hui, il ne traverserait à l’esprit de personne de porter un chapeau haut de forme pour aller s’acheter un baril de pistaches au Costco.
La pédale au fond
Depuis un bon siècle, on s’est plutôt lancé à fond dans la culture du char.
On a organisé nos vies autour de l’automobile. On a inventé le Code de la route, les limites de vitesse, les parcomètres, le permis de conduire, l’assurance auto, la banlieue, l’heure de pointe, le prix de l’essence, la technique du stationnement en parallèle, l’osti de WAH à Marilou, la rage au volant, le tapis sauve-pantalons. Et j’en passe.
C’est aussi en partie grâce à cette formidable culture qu’on peut se réjouir de fracasser, année après année, de nouveaux records de chaleur.
On se berce depuis un siècle dans l’illusion que l’automobile nous fait gagner du temps. En fait, on passe autant de temps en déplacement qu’avant, c’est mesuré. Sauf qu’au lieu de passer une heure à marcher 6 kilomètres, on passe une heure à en faire 60.
L’auto a changé notre perception du monde, de ce qui est loin, de ce qui est proche. On s’imagine qu’il faut aller loin parce qu’on peut aller loin.
Et que c’est ça, la liberté.
On va finir par passer à autre chose
En ma qualité d’indécrottable optimiste, j’ai la conviction que la culture du char connaîtra tôt ou tard le même sort que celle du chapeau.
C’est un peu la réflexion que je me suis faite en pensant à la Journée mondiale sans voiture, ce dimanche.
La culture du char est loin d’être morte, mais les petits signes de son inévitable déclin s’accumulent.
D’abord, la jeunesse (a.k.a. l’avenir) ne chante plus « si j’avais un char, ça changerait ma vie ». Depuis des décennies, la proportion de jeunes détenant un permis de conduire n’a d’ailleurs cessé de baisser.
Pour eux, avoir un char, ça changerait rien, en fait.
Ces dernières années, on piétonnise des rues, on prévoit des pistes cyclables partout. On conçoit nos ponts actuels et à venir avec la « multimodalité » en tête. Tout ça est relativement nouveau.
La culture du char souffre d’un désamour grandissant. À peine ouvert au public, l’horreur consumériste qu’est le Royalmount, planté entre deux artères routières déjà congestionnées, avait déjà l’air d’un anachronisme.
Alors que le gouvernement Legault tente de nous vendre sa « filière batterie », bien des voix lui répliquent que l’auto électrique est un mirage, une fausse bonne idée, la vieille culture du char sous un autre chapeau.
De plus en plus de gens trouvent que cette culture a rendu nos villes plus encombrées, plus dangereuses, plus sales, plus bruyantes, plus polluées, moins vivables. Et ces gens en parlent de plus en plus fort et de plus en plus souvent.
J’en suis convaincu : un jour, sans doute pas de mon vivant, on finira par trouver tout bonnement inconcevable de s’endetter pour s’acheter une automobile privée, juste pour se rendre quelque part…
Comme l’écrivait en 2016 le militant pour des villes sans autos J.H. Crawford : « Le siècle de l’auto a été une erreur, il est temps de passer à autre chose. »
À cela, je lève mon chapeau.
*
Allez, bon samedi !
On jase, là
Si on se fie à mon sondage de la semaine dernière, (ce qu’on ne devrait jamais faire) vous êtes nombreux(-ses) à avoir de gros doutes (43%) que l’usine de Northvolt voie un jour le jour. Et 14% d’entre vous ne seraient pas étonné(e)s qu’elle ne se construise jamais.
Ma question de la semaine :
Après le micro-scandale qui a suivi la décision de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, de restreindre les commentaires sur ses publications dans les médias sociaux, je vous demande :
Encore là ? J’ai besoin de vous !
Sinon…
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Qui suis-je ?
Je m’appelle Steve Proulx. Pour gagner ma vie, j’écris. Je fais ça depuis près de 30 ans. Vous m’avez sans doute déjà lu quelque part (ne serait-ce qu’en ce moment même).
Suivez mes autres aventures :
Je pense qu'il y aura un important basculement lorsque les voitures se conduiront toutes seules et que les taxis/uber/whatever chuteront de prix.
Fascinante hypothèse imputant à l'automobile la quasi-extinction du chapeau! Et quel soulagement, depuis le temps que je me questionnais, d'enfin comprendre le lien entre trois buts et un chapeau (je pensais qu'à une autre époque, l'heureux joueur patinait, triomphant, en cercle autour des casquettes que les spectateurs avaient lancé sur la glace).
Et puissiez-vous avoir raison au sujet du déclin de la passion pour l'automobile, mais il vous suffirait de venir faire un tour en région pour constater que le culte du char pimpé et du pickup truck est toujours bien vivant chez nos jeunes...