No. 53 - La plus nulle des addictions
Cette drogue qui rend nos jeunes si plates.
Le samedi 26 avril 2025
La belle-sœur, qui enseigne au cégep, s’insurgeait l’autre jour : « Pour mes étudiants, mon cours est le moment plate qu’ils doivent passer avant de pouvoir regarder leur cell. »
Pendant leur pause, a-t-elle continué, au lieu d’essayer de partir une grève étudiante, c’est ce qu’ils font : chacun dans leur coin, ils scrollent jusqu’au prochain cours en évitant rigoureusement de croiser le regard de leurs contemporains.
Les écrans peuvent causer la dépendance. Comme la cigarette, sauf qu’au lieu de jaunir les dents et donner le cancer, les écrans rendent les gens beiges.
Mais nous ne sommes pas encore collectivement prêts à entendre la vérité. On a encore envie de débattre du sujet, et on trouve encore des spécialistes pour défendre le rôle bénéfique des écrans dans nos vies.
Un peu comme à l’époque où les médecins avaient une marque de cigarette préférée.
Bienvenue aux abonné(e)s de la semaine : Carole, Karine, Yassine B., Sébastien L. et Amélie D., Les célèbres anonymes, Marie-Claude L. et Philippe R..
Un merci particulier à Marc Gibeault, qui a osé prendre un abonnement payant. Ces chroniques font partie de votre rituel du samedi ? Considérez l’abonnement payant…
…ou payez-moi un café ! ☕️
Les héritiers de l’âge du cell
Plus on s’enfonce dans cette ère numérique, plus on a d’occasions d’observer les effets délétères de la crise des écrans.
La jeunesse est particulièrement affectée par cette calamité.
De jeunes junkies, j’en croise souvent quand je prend ma marche. Je les vois avancer sur le trottoir, leur corps penché par en avant. Ils avancent sans regarder personne, le nez dans leur cell, la tête dans un étau. Tassez-vous de d’là !
Les enfants de l’âge du cell sont plus anxieux, on le sait. On pense qu’ils pourraient vivre moins longtemps que leurs parents. Ils sont plus seuls aussi.
En passant, avez-vous remarqué qu’on ne voit plus tellement d’écriteaux « Flânage interdit » près des dépanneurs ?
C’est parce que les jeunes ne flânent plus près des dépanneurs. Ils restent dans leur chambre, la porte fermée, sur leur cell.
Cela dit, ce qu’ils font avec leur cell dans l’intimité de leur chambre n’est pas nécessairement problématique.
Après tout, selon un récent sondage, seulement un ado sur sept a déjà partagé des images explicites de lui-même dans les réseaux sociaux en échange d’une récompense.
Je profite d’ailleurs de l’occasion pour souligner le bon travail des gens chez Snapchat. C’est vraiment bien ce qu’ils ont fait pour les prédateurs sexuels.
Maintenant, c’est super facile pour eux.
Cela dit, les jeunes apprennent quand même des choses utiles sur leur cell.
Par exemple, ils peuvent s’initier à la pratique émergente du « looksmaxxing », qui consiste à se frapper le visage avec un marteau pour en refaçonner les contours.
Bon à savoir.
*
Je plaisante.
Il reste qu’un régime riche en cell peut finir par avoir un effet négatif sur les capacités cognitives des jeunes.
Ils ne sont plus capables de s’emmerder, l’ennui étant pourtant le socle sur lequel l’enfant bâti son autonomie, sa créativité.
La génération des écrans a aussi la flemme de penser. Elle préfère les idées qui s’avalent comme des chips. Les slogans courts, ça marche avec eux.
C’est peut-être pour ça qu’ils votent à droite pour des partis qui leur ont promis de changer pour le gros bon sens (en préservant les pailles de plastique).
C’est peut-être pour ça aussi qu’ils sont de plus en plus nombreux à rêver d’un retour au patriarcat, quand les rôles étaient tellement plus simples.
Du coup, l’addiction généralisée aux écrans est en train d’engendrer la génération la plus plate depuis le temps des messes en latin.
En fin de compte, s’il faut absolument se geler la bine avec quelque chose, je me demande si on n’était pas mieux avec le LSD.
Au moins, le LSD nous a donné Woodstock. Et les Doors. Et Zigzag dans Passe-Partout.
À part des gens prévisibles, faciles à manipuler et aux idées conservatrices, qu’est-ce qu’on a obtenu de la dépendance aux écrans ?
Les Starter Packs ?
Interdire la drogue à l’école
Tout ceci pour dire que j’accueille évidemment avec enthousiasme la recommandation de la Commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes d’interdire les cellulaires et autres appareils mobiles dans l’ensemble des écoles primaires et secondaires, partout et tout le temps.
Ça ne coûte rien à l’État, what’s not to like ?
D’un coup que ça marche ? On pourrait essayer, juste pour voir si en leur ôtant leur cell, nos adolescents retrouveront un appétit pour les folies de jeunesse.
Peut-être réapprendront-ils à fabriquer des bombes puantes ? Peut-être se remettront-ils à jouer à la bouteille ?
Alors, oui, je seconde et j’appuie la résolution.
Mais gardons la tête froide. La crise des écrans ne se règlera pas avec cette seule mesure, aussi louable soit-elle.
Hélas, tant qu’on laissera l’ère numérique être prise en otage par l’appât du gain, on ne sortira pas de cette crise.
Tant qu’on ne mettra pas à terre les géants numériques qui ont tout fait pour encourager l’addiction à leurs produits afin de profiter de vous, de moi et des membres les plus vulnérables de la société, le monde va rester aussi nul qu’aujourd’hui.
Et on devra continuer de se tasser du chemin pour éviter de se faire rentrer dedans par un zombie, le nez dans son cell.
*
Allez, bon samedi !
Parce qu’on souligne ces jours-ci les 25 ans de la mort de « Dédé » Fortin, j’ai eu envie de réentendre « Tassez-vous de d’là ». Parce qu’elle parle des ravages d’une autre drogue. Parce qu’elle montre aussi une jeunesse qui n’était pas mieux que celle d’aujourd’hui, mais cibole qu’elle était moins plate !
Écoutez mes « chansons pour la route » sur Apple Music >
Je m’appelle Steve Proulx.
Pour gagner ma vie, j’écris. Je fais ça depuis près de 30 ans. Vous m’avez sans doute déjà lu quelque part (ne serait-ce qu’en ce moment même).
Voir aussi :
Ma job de jour : pour vos besoins en contenus rédactionnels
Mes romans jeunesse : Le cratère (Éditions de la Bagnole)
je me demande si les jeunes savent comment frencher. ado, on faisait des party le vendredi dans le sous-sol d'un ami qui avait des parents cool. on faisait jouer du pearl jam et du soundgarden en buvant la bière achetée au dépanneur sur jean-talon et lucerne (45min de bus!) car le gars ne 'cartait' pas. on savait frencher et on savait c'était quoi des cassettes et des cd et des lecteurs cassettes auto-reverse. Ah oui, ON PARLAIT ENSEMBLE!!!!!