Le samedi 22 février 2025
Moi qui cherchais justement une métaphore pour parler de la crise en culture, j’ai été servi.
72,4 cm de métaphore, en plus. C’est du sérieux !
Au début, on a regardé la tempête nous ensevelir , avec une fascination mêlée à une ambiance de fin du monde. Les vieux ont rappelé le temps des hivers comme ça.
Puis, une fois que le ciel eut vomi tout ce qu’il avait dans le ventre, on s’est mis au travail.
Le lendemain, j’ai vu des gens équipés pour pelleter tard s’en prendre aux bancs de neige. Ils allaient sortir leur char de là-dessous. J’imagine qu’ils avaient besoin d’aller quelque part.
Parce que c’est ce qu’on fait au Québec.
Même si la tempête du siècle nous tombe dessus, ça ne nous empêche pas d’aller quelque part.
L’ensevelissement, c’est aussi ce que subit notre culture.
On a toujours eu de bonnes bordées, mais celle qui nous tombe dessus depuis que la révolution numérique a commencé est quelque chose.
Notre culture, c’est le véhicule grâce auquel notre société va quelque part. Et ce véhicule est solidement pris sous le banc de neige.
La voilà, ma métaphore.
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La consommation culturellement responsable
L’autre dimanche, je me préparais donc à aller pelleter en écoutant l’émission Tout terrain à la Première chaîne.
À un moment donné, Janic Tremblay a présenté sa prochaine invitée, Catalina Briceño, la directrice de l’École des médias de l’UQAM.
Le sujet : la culture québécoise en crise, comment sortir de la tempête.
Je me suis dit que la neige pouvait attendre (ce qu’elle a fait), et j’ai fait une chose que je ne fais jamais : j’ai écouté la radio sans rien faire d’autre à côté.
Dans cette entrevue trop courte, Catalina Briceño a brossé un tableau rapide de la situation.
Je résume :
Nous traversons un choc numérique qui a complètement transformé les façons de créer, de distribuer et de consommer les « produits » culturels et médiatiques.
L’offre culturelle nous vient de partout ; elle est de plus en plus « plateformisée » par des géants étrangers aux tendances monopolistiques. Du coup, nous sommes submergés de contenus de partout, sauf d’ici.
Le climat politique actuel n’est pas en faveur de la protection de notre culture.
Aujourd’hui, toute une génération de Québécois(e)s n’a « jamais appris à consommer des contenus nationaux ».
Le dernier point m’a donné des frissons, et je rappelle que j’étais quand même habillé pour aller pelleter.
C’est vrai. Pour nombre de jeunes — j’en ai deux spécimens particulièrement typiques à la maison —, la culture québécoise n’est pas quelque chose qui existe.
Leur univers « culturel » se compose de jeux vidéo, de Taylor Swift, de films de superhéros produits à la chaîne, de listes d’écoute générées par l’IA, de vidéos de monde qui jouent à Roblox, de stars de la K-pop qui chantent des osties de tounes pop bonbon poches, mais en coréen.
Pour commencer, ce n’est pas de la culture. C’est du divertissement ancré dans une mécanique bien huilée conçue pour capter l’attention et vendre cochonneries et autres produits dérivés.
*
Je reviens à l’entrevue de Tout terrain.
À un autre moment donné, Janic pose la question à 100 piasses : « Allons-nous nous américaniser ? »
Pour Catalina Briceño, il est certain que la culture québécoise souffre d’un vrai déficit de désirabilité.
« Ce qui est en jeu, c’est [notre capacité] à cultiver nos référents communs, notre imaginaire commun. […] Ce qui est à risque, c’est notre souveraineté narrative, pouvoir déterminer qui nous sommes, comment raconter nos histoires, et entre les mains de qui on va laisser ça. C’est un enjeu identitaire. »
Elle plaide pour que se répande un réflexe de « consommation culturellement responsable ».
On comprend qu’acheter des tomates du Québec, c’est bon pour l’économie du Québec. Dans le même esprit, il faudrait commencer à choisir la culture québécoise de façon consciente, en décidant d’intégrer un film d’ici, un livre d’ici, de la musique d’ici ou un spectacle d’ici plus souvent dans notre menu.
*
Je ne vous referai pas l’exposé oral sur l’impact économique de notre industrie de la culture.
Si ce gouvernement refuse d’investir 2 % du budget du Québec en culture, comme le réclame le Front commun pour les arts, ce n’est pas parce qu’il ne sait pas compter.
Ce gouvernement sait compter. Les votes. Et la culture ne rapporte pas de votes. Alors, on s’en sacre.
Mais c’est quoi, le Québec, sans sa culture ?
Des beaux paysages ?
La gratte doit passer
On se demande quoi faire pour que cette culture continue d’exister dans le monde d’aujourd’hui.
Et c’est ici que j’aimerais à nouveau convoquer ma métaphore de la tempête pour un dernier tour de piste.
Si on parle d’un problème d’ensevelissement, on peut certainement en faire un bout, chacun avec notre petite pelle, pour sortir notre culture du banc de neige.
Il reste que l’État doit nous aider à déneiger. Ça coûtera ce que ça coûtera.
Si on veut aller quelque part comme société, c’est au gouvernement de sortir la gratte pour gérer l’avalanche de marde que nous envoie ces plateformes étrangères.
S’il n’y a pas, en ce moment, dans les cartons de ce gouvernement, un train de mesures musclées pour protéger de l’ensevelissement notre culture, notre identité en tant que nation, je ne vois pas ce que ce gouvernement cherche à gouverner.
Les paysages ?
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Allez, bon samedi !
On a vu cette semaine le film Jour de merde de Kevin Landry. Sans être un grand film, il contient deux choses vraiment bien : le personnage d’ado le plus tristement réaliste que j’ai vu depuis longtemps, et un générique de feu sur cette solide chanson de Lisa LeBlanc.
Gens de Gatineau et des alentours, sortez du banc de neige et venez me faire coucou au Salon du livre de l’Outaouais aujourd’hui !
Qui suis-je ?
Je m’appelle Steve Proulx. Pour gagner ma vie, j’écris. Je fais ça depuis près de 30 ans. Vous m’avez sans doute déjà lu quelque part (ne serait-ce qu’en ce moment même).
Suivez mes autres aventures :
Ma job de jour : pour vos besoins en contenus rédactionnels
Mes romans de la série Le cratère (éditions de La Bagnole)
Bon Salon du Livre !
“osties de tounes pop bonbon poches” J’ai souri, c’est tellement une bonne definition.