Le samedi 25 janvier 2025
Les humains ont le don de s’inventer des histoires. C’est même notre force. Des religions, des systèmes économiques, ou des fictions comme la démocratie, les décrets présidentiels et les symboles nazis… c’est fou tout ce qui peut sortir de nos têtes.
En même temps, voyez comme les choses sont bien faites : chaque idée produite par l’esprit humain peut mourir sous l’action d’une autre fonctionnalité de ce même esprit : l’indifférence.
Cessons de penser à Dieu, et Dieu disparaît. Arrêtons de se faire croire qu’une personne est comme ci ou comme ça à cause de la couleur de sa peau, et le racisme n’existe plus.
Si un paquet de gens le décident, l’indifférence peut devenir l’arme de destruction massive des pires idées de marde.
Notez cependant qu’elle ne fonctionne que pour les histoires qu’on se raconte entre nous. C’est vrai, on a beau rester indifférent face aux changements climatiques, la calotte glaciaire s’en fout. Elle va fondre pareil.
Il y a des choses qu’on n’a pas le luxe d’ignorer, d’autres oui.
Moi, je dis : profitons-en !
Je ne reste évidemment pas indifférent devant ces gens qui ont rejoint mon humble lectorat cette semaine : Louise F., Francine, Florent D., Pierre S., Guylaine L., Christian B., Kate G., Patrick B., Frédéric G., Marie-Claude, Luc, La fédération des télévisions communautaires du Québec, la célèbre Geneviève Pettersen et Camille S.-P.. Merci !
Et un merci tout particulier à Simon Beaudry d’avoir souscrit un abonnement payant. Simon est un artiste visuel qui explore l’identité québécoise dans ses travaux, que je vous invite à découvrir sur son site.
Un bon vieux boycottage
On appelle cela un « boycott » à cause d’un gars, Charles C. Boycott.
En 1879, le bonhomme a été mandaté pour expulser les fermiers du comté de Mayo (Irlande) qui ne voulaient pas payer l’augmentation de loyer de 25 % imposée par le comte local, et ce malgré des récoltes pourries.
Sauf qu’au lieu de simplement « lyncher »(1) M. Boycott, les fermiers ont décidé de l’ignorer avec acharnement.
Personne ne voulait plus travailler pour lui. Les marchands ont refusé de lui vendre quoi que ce soit. Même le courrier ne lui était plus livré.
Boycott a fini par prendre ses cliques et ses claques.
À partir de là, on a commencé à utiliser le terme « boycotter » pour nommer le pouvoir que nous avons, nous le peuple, de refuser d’embarquer dans une idée de marde.
J’ai une affection particulière pour le boycott.
C’est quand même le titre de mon premier livre, de surcroît mon unique « succès » international.
Depuis ce temps, je suis toujours partant pour un bon boycottage.
En ce moment, je boycotte Amazon, Costco, Dollarama, Walmart, Spotify, Facebook, TikTok, X, les voyages aux États-Unis, le transport aérien en général, le jus d’orange de la Floride, l’eau embouteillée, la musique de Michael Jackson, les films de Marvel, toutes les religions sans discernement, Richard Martineau, Patrice Bélanger et Taxi Diamond (longue histoire).
Le boycottage comme mode de vie, étonnamment, réduit ma charge mentale de façon notable.
C’est qu’en limitant consciemment mes options au supermarché de la vie, je me soustrais plus souvent qu’à mon tour au grand mal de notre temps : la tyrannie du choix.
Ce sera un sujet pour un autre tantôt.
Faire une croix sur X
Toujours est-il que la France, encore une fois en avance d’une révolution sur le reste du monde, a commencé à boycotter sur un moyen temps le réseau social X.
Le Monde, Libération, Médiapart ont quitté X ces derniers jours. Le mouvement HelloQuitteX s’est formé dans la foulée.
Ailleurs dans le monde, NPR aux États-Unis a quitté X. The Guardian au Royaume-Uni aussi.
C’est sans compter les vagues de gens ordinaires qui ont déserté la plate-forme depuis qu’Elon a décidé d’en faire le porte-voix de ses idées de marde.
Entre mai 2023 et septembre 2024, le Financial Times montrait que X avait perdu le cinquième de ses utilisateurs aux États-Unis, et le tiers au Royaume-Uni.
C’était avant l’élection de Trump, et avant le salut nazi (ou romain?) de Musk cette semaine. Pour la suite des choses, les analystes prévoient que X continuera de perdre des utilisateurs en 2025. Par millions.
*
Au Québec, nos leaders regardent tout ça la bouche ouverte, le regard vide, en se demandant si ce serait bien, peut-être, un moment donné, d’avoir l’idée d’éventuellement prendre une décision par rapport à ce dossier-là.
Au moment d’écrire ces lignes, seuls Pivot, Les Débrouillards et le Collège des médecins avaient annoncé leur départ de X.
Sinon, nos élu(e)s ont passé la semaine à se faire demander s’ils prévoyaient arrêter de légitimer la plateforme du « milliardaire psychopathe » (ce sont les mots de la co-porte-parole de Québec solidaire, Ruba Ghazal).
Dans le même souffle, Mme Ghazal y est allé d’un grand geste de leadership digne du parti de la gauche progressiste qu’elle représente : « Si les médias ferment leur compte, Québec solidaire va fermer son compte. » C’est ce qu’elle a dit.
Sauf que les médias, qui aiment se draper dans cette fiction qu’ils appellent l’objectivité, refusent de céder à toute forme de militantisme.
Ça se discute, mais pour eux, continuer de faire chaque jour la promotion et la validation d’un réseau social toxique ne représente pas une forme de militantisme. C’est juste normal.
« Ça existe, c’est normal qu’on soit là. Pourquoi, nous, on essayerait de faire en sorte d’empêcher qu’une idée de marde existe ? C’est pas notre job de faire ça ! »
C’est vrai. Et il me semble que Mme Ghazal devrait le savoir après tout ce temps : les médias ne se perçoivent pas comme des acteurs directs de progrès social.
Ils sont juste là pour rapporter ce qui se passe.
Les élu(e)s, ceux et celles que la population choisit pour agir au service du bien commun, doivent agir au service du bien commun.
C’est leur job de faire ça.
*
Cela dit, je pense que je comprends ce qui se passe. C’est le mot « boycott » qui fait peur. Ça fait « villageois en furie, avec leurs fourches et leurs haillons ».
Personne ne veut, en 2025, perpétuer un geste associé à la colère de fermiers mangeurs de patates de l’Irlande du XIXe siècle.
Il nous faudrait un nouveau terme. Plus creux. Nos leaders aiment parler creux aujourd’hui, ça leur donne l’impression de dire des choses intelligentes sans vraiment rien dire en fin de compte.
Pour remplacer le poussiéreux « boycott », je suggère donc qu’on parle d’« indifférence active ». Aimez-vous ça ? Ou trouvez-vous que c’est une idée de marde ?
Pour faire mourir une idée empoisonnée -ce qu’est devenue la plate-forme X- l’antidote, c’est l’indifférence.
Et pour l’activer, il suffit de cliquer sur « DÉSACTIVER ».
Si tout le monde le fait, X va mourir.
C’est un luxe qu’on peut se payer, profitons-en !
*
Allez, bon samedi !
*J’ai pris ça où ?
Le terme « lyncher » nous vient d’un certain Charles Lynch, un autre tarlais qui a réussi à salir son nom de famille pour des générations en s’improvisant juge pendant la Révolution américaine afin de condamner des criminels super vite.
Mes romans sont sortis !
Si vous avez un(e) ado qui traîne quelque part, je vous invite à lui mettre entre les mains les deux premiers tomes de ma série Le cratère, parus cette semaine aux éditions de La bagnole.
Ce sera pour elle ou lui l'occasion de plonger dans une vraie théorie du complot, de découvrir ce qui se trame à Grise-Vallée, cette petite ville où il ne se passe jamais rien... jusqu’à ce qu’il se passe quelque chose !
J’inaugure une nouvelle rubrique, Une chanson pour la route.
Notre Rufus avait composé celle-ci en plein règne de George W. Bush, chantant « I’m so tired of America ». J’ai le feeling que son sentiment ne s’est pas amélioré après la semaine qu’on vient de traverser.
Qui suis-je ?
Je m’appelle Steve Proulx. Pour gagner ma vie, j’écris. Je fais ça depuis près de 30 ans. Vous m’avez sans doute déjà lu quelque part (ne serait-ce qu’en ce moment même).
Suivez mes autres aventures :
Ma job de jour : pour vos besoins en contenus rédactionnels
L’initiative La nouvelle place, le futur média social québécois
Mes romans de la série Le cratère (éditions de La bagnole)
Merci pour l'information quant à l'origine du terme boycott! Fort instructif! J'embarque également dans le mouvement d'indifférence active: j'ai résilié mon abonnement à Amazon Prime après l'inauguration de Trump.
La lecture du passage de la tyrannie du choix m'a fait penser à l'ouvrage Le Paradoxe du Choix que je viens de ressortir à l'instant de ma bibliothèque à l'instant pour relire. Ah! Cet impact des mots ;)
L'indifférence à l'époque de l'économie de l'attention, ça sonne comme une idée subversive! Sérieusement, c'est une attitude tellement puissante qu'un enfant préfèrera provoquer la colère de son parent plutôt que de subir son indifférence. J'adhère, d'autant plus que ça libèrera de la bande passante dans ma tête. (Sois dit en passant, la petite histoire du pauvre monsieur Boycott était fascinante!)